Les Ex-PCF

Le plus grand parti de France

Fils d’un ingénieur des chemins de fer, Paul Nizan (né à Tours (Indre-et-Loire) le 7 février 1905, mort à Recques-sur-Hem (Pas-de-Calais) le 23 mai 1940) arrive à Paris en 1917, suite à la mutation de son père de Périgueux à Paris.

Ecrivain, journaliste

Démission en 1939

D’abord au lycée Henri-IV de 1917 à 1922, il entre en khâgne à Louis-le-Grand en 1922, où il a pour camarade Jean-Paul Sartre, qui devient rapidement son meilleur ami. Il réussit le concours d’entrée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1924, et y retrouve Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, Jean Bruhat, Georges Friedmann.

Très tôt attiré par l’exercice de l’écriture, Paul Nizan s’essaie à la poésie (Cathédrale, 1923) et à l’essai caustique (La complainte du carabin qui disséqua sa petite amie en fumant deux paquets de Maryland, 1924).

Arrière-arrière-petit-fils d'un royaliste fusillé pendant la Révolution française, Nizan s'inscrit aux Camelots du Roy, les jeunes de l'Action française. Il adhère en 1925, au Faisceau de Georges Valois, premier parti fasciste français. Cependant, il hésite entre le royalisme et le communisme, entre Lénine (La Révolution prolétarienne) et Valois (Révolution nationale).

Nizan voyage en Italie et ses lettres à sa fiancée, Henriette Alphen, montrent son intérêt pour la résistance des communistes italiens au fascisme.

Il participe à de nombreuses tentatives de renouvellement de la pensée philosophique et politique en France, notamment avec son ami Georges Friedmann. En août 1925, il reprend le Groupe d’informations internationales qu’avait fondé Friedmann à l’École normale supérieure. Parmi les collaborateurs : Pierre Morhange (directeur), Max Jacob, Paul Lotte, Jules Supervielle, Jean Cocteau, Philippe Soupault, Pierre Drieu La Rochelle, Norbert Guterman, Henri Lefebvre, Georges Politzer.

En 1926, indécis politiquement et en proie à une dépression, il quitte la scène littéraire et politique française et devient le précepteur des deux enfants de l’homme d’affaires, Antonin Besse, à Aden (septembre 1926 - mai 1927).

S’il est tenté à Aden par une carrière dans les affaires (il songe à s’associer à M. Besse), il y découvre la solitude, le colonialisme, la misère des indigènes «exploités d’une façon révoltante».

À son retour, en 1927, il adhère au Parti communiste (et épouse Henriette Alphen, avec comme témoins, Sartre et Aron).

Il passe son Diplôme d'études supérieures avec un mémoire sur la «Fonction du meaning : mots, images et schèmes», puis traduit avec Sartre la Psychopathologique générale de Karl Jaspers. Sa réputation grandit dans le milieu universitaire. Elégant et raffiné, anglophile, fasciné par la modernité, il soigne son image de dandy.

Il obtient son agrégation de philosophie en 1929.

Nizan signe dans l’Humanité (4 juillet 1929) une lettre collective s’élevant contre la préparation militaire dans les Écoles normales, lettre que la rédaction du journal fait précéder d’un chapeau dénonçant la "scandaleuse militarisation de l’université, en vue de la guerre prochaine".

Dès son adhésion au parti, il participe à la création Revue marxiste, revue "autonome" de recherches marxistes, avec Georges Friedmann, Henri Lefebvre, Georges Politzer. Il partage avec ce dernier, la direction de la Revue de psychologie concrète (1929). Au début de 1931, alors qu’il est conseiller littéraire de la revue Bifur, il se met à la disposition de la section d’Agit-prop du Parti communiste. Il s’occupe également de la librairie du parti, rue Lafayette. Il collabore à la revue Europe et à l’hebdomadaire Monde (revue «non partisane» créée par Henri Barbusse). En mars 1930, l’Union internationale des écrivains révolutionnaires accuse le Monde d’être «le promoteur des idéologies hostiles au prolétariat», et Nizan exige pour lui-même, la place de critique littéraire et pour ses camarades, Vaillant-Couturier, Moussinac, Cogniot, Péri des positions-clé dans le comité de rédaction. Il tente ainsi de prendre la direction du Monde. En vain car Henri Barbusse ne cède pas.

En 1931, il publie Aden Arabie (1931), livre oublié puis remis en lumière par l’avant-propos de Sartre dans la réédition de 1960 ; oeuvre célèbre pour sa première phrase introductive : "J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie".

En 1932, Les Chiens de garde, un pamphlet contre les philosophes académiques de la Troisième République, dénonce les "grands prêtres de l’ordre bourgeois" que sont Brunschvicg, Bergson et quelques autres. Il y déclare que le philosophe moderne doit être au service du peuple et ressembler «au révolutionnaire professionnel décrit par Lénine».

Il participe à la création de l’Association des écrivains et des artistes révolutionnaires (AEAR) en 1932, et au lancement de Commune, revue de l’A.E.A.R, à laquelle collaborent Henri Barbusse, André Gide, Romain Rolland, Paul Vaillant-Couturier et Louis Aragon

Il condamne l’individualisme petit-bourgeois du surréalisme.

Nizan avait effectué son service militaire à Paris (15 octobre 1929-15 octobre 1930), qui lui inspire son livre, Conspiration.

Nommé professeur de philosophie au lycée Lalande à Bourg-en-Bresse (1931-1932), il est très actif et tente d’organiser un syndicat des chômeurs qu’il encourage à adhérer à la CGTU. En janvier et février 1932, une campagne de presse anti-Nizan (et anticommuniste) mobilise la population bien pensante contre ce «Messie rouge» qui «s’est fait à Bourg le chef du Parti communiste». Candidat aux législatives de mai 1932, il obtient 2,7 % au 1er tour, et se maintient au second tour, conformément à la tactique classe contre classe du PCF.

Nommé professeur de philosophie au lycée d’Auch en 1932, il demande sa mise en congé et revient à Paris. Il entre comme journaliste à l’Humanité (chargé de notes de lecture hebdomadaires) et travaille sous l’autorité de Gabriel Péri (avec qui il se lie d’amitié).

En 1933, il publie Antoine Bloyé (une voix au Goncourt), où il évoque la «trahison de classe» (comment un homme en vient à «trahir» son groupe d'origine en gravissant les échelons sociaux). Ce livre en partie biographique, retrace l'ascension sociale d'un fils de cheminot et de femme de ménage. C’est une analyse marxiste de la montée du capitalisme français sous le Second Empire, une dénonciation du déracinement et de l’aliénation par l’industrialisation et l’urbanisation. Ce livre est considéré par la critique comme le premier roman français relevant du «réalisme socialiste». Ce roman porte déjà ce qui deviendra un leitmotiv dans l’œuvre de Nizan : l’obsession de la mort, de la mort en solitaire.

En 1934, le Parti communiste l’envoie en Union Soviétique. En janvier, accompagné de sa femme et ses deux enfants, il quitte Paris pour un séjour qui dure presque un an, financé en partie par ses droits d’auteur (Aden Arabie et Les Chiens de garde avaient été traduits en russe). Il fréquente l’Institut Marx-Engels à Moscou, assure la publication de cinq numéros de l’édition française de Littérature internationale (1934 - 1935). Nizan voyage en URSS : Leningrad, Oural, Asie centrale. En août 1934, il participe à Moscou au premier congrès des écrivains révolutionnaires avec Malraux, Jean-Richard Bloch, Vladimir Pozner et Aragon. A cette occasion, il se lie d’amitié avec André Malraux.

Il adhère au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) dès sa création, au printemps 1934.

Son séjour en URSS coïncide avec la nouvelle politique antifasciste de l’Internationale, adoptée au cours du XVIIIe congrès du Parti communiste de l’Union soviétique (fin janvier 1934) qui aboutit à un rapprochement entre l’Union soviétique et les démocraties occidentales, à son adhésion à la SDN. Nizan apporte sa contribution à la diffusion d’une nouvelle image de l’URSS dès son retour en France dans une série de conférences et d’articles dans lesquels il demande à ses concitoyens de se fier à son témoignage «d’homme qui a longtemps vécu en URSS.» Il vante la gaieté des jeunes soviétiques, leur acharnement au travail, la volonté de paix de l’Union soviétique.

Malgré un anticléricalisme viscéral qu’il dénonce, Nizan participe à la politique de "la main tendue" avec Paul Vaillant-Couturier et rencontre ainsi des "catholiques de gauche". Il n’en affirme pas moins l’incompatibilité des deux doctrines et son éternelle méfiance envers une église "alliée naturelle du fascisme". En dépit de la nouvelle souplesse doctrinale du parti, Nizan fait figure de gardien de la pureté du dogme et d’une certaine orthodoxie.

Il publie en 1935, son roman le plus engagé politiquement, Le Cheval de Troie. Ce roman est largement inspiré par son expérience à Bourg. Le Cheval de Troie est un bon exemple de réalisme socialiste mais Nizan lui-même réclame une plus grande autonomie pour l’artiste révolutionnaire, afin de lui permettre de passer de l’action à la création, de l’engagement dans la politique à un récit sur la politique (Monde, 1er août 1935). Il est ainsi en accord avec la nouvelle politique culturelle du parti, énoncée par Paul Vaillant-Couturier devant le comité central en octobre 1936, qui libère l’artiste «engagé» de certaines contraintes idéologiques.

Conspiration (prix Interallié en 1938) est écrit dans ce contexte. C’est avec l’aval du Parti communiste qu’il peut ainsi traiter des questions concernant la nature du roman, le traitement et le choix du héros romanesque dans une perspective révolutionnaire, ré-examiner sa notion de "littérature populaire". Soucieux de se forger un "style communiste" et d’utiliser le communisme en tant que "méthode de connaissance et d’expérience", Nizan veut à la fois éviter la littérature engagée et l’absence de réalisme social de la littérature bourgeoise.

En 1936, il écrit Les Matérialistes de l’Antiquité, ouvrage de vulgarisation qui peut servir à légitimer le matérialisme des communistes. Il collabore également aux Morceaux choisis de Marx (1934) pour lesquels il sélectionne les écrits philosophiques de Marx. Son choix se porte surtout sur les écrits du «jeune» Marx.

Il suit la guerre civile espagnole, en tant qu’envoyé spécial pour Regards et pour l’Humanité (août 1936). Il travaille pour Ce soir, nouveau quotidien communiste (directeurs : Jean-Richard Bloch et Louis Aragon), lancé en mars 1937, comme chef de la rubrique de politique étrangère (1937-1939).

Nizan se rapproche de l’équipe de la NRF, et Gide aurait songé à le faire entrer à la Nouvelle revue française en remplacement de Thibaudet, décédé en 1936. La publication de Retour de l’URSS de Gide et surtout de Retouches à mon retour de l’URSS, met fin à ce rapprochement. Après Retouches à mon retour de l’URSS, Gide devient un "traître", au même titre que les fascistes Drieu la Rochelle et Doriot.

Pour les procès de Moscou, il cautionne la thèse officielle du complot, en rappelant "les faits considérables établis par les débats des procès" et en reprochant aux détracteurs de l’URSS de donner l’impression que "tout se passe comme si l’état de l’URSS était responsable des trahisons, mais non l’activité même des traîtres".

Nizan écrit dans Ce soir des articles quotidiens sur les affaires étrangères dans lesquels il souligne sans relâche la volonté de paix de l’URSS, l’antifascisme et le patriotisme du PCF, la nécessité d’une alliance entre Paris, Londres et Moscou, de l’aide à l’Espagne, etc. Il est totalement en phase avec les positions du parti.

Après, le Pacte germano-soviétique (23 août 1939) et surtout l’entrée des troupes soviétiques en Pologne (17 septembre), il envoie sa démission, le 23 septembre, à Jacques Duclos : «Je t’adresse ma démission du Parti communiste français. Ma condition présente de soldat aux armées m’interdit d’ajouter à ces lignes le moindre commentaire.»

Sa rupture fait figure d’"apostasie" (Georges Cogniot), de "trahison" (Thorez), de "coup de tête" (Sartre). Une note confidentielle de André Marty du 28 septembre 1939, le qualifie «d’intellectuel complètement détaché des masses».

Il passe "la drôle de guerre" à écrire Les Amours de septembre, première partie d’une trilogie, La soirée à Somosierra.

Le 7 février 1940, il est muté en qualité d’interprète auprès du 14th Army Field Workshop de l’armée britannique cantonnée près de Dunkerque.

Le 23 mai 1940, il meurt (tué d’une balle perdue) au château de Cocove à Recques-sur-Hem, lors de l'offensive allemande contre Dunkerque. Son dernier manuscrit (Les Amours de septembre) n’est pas retrouvé.

En mars 1940, Maurice Thorez signe, dans le journal Die Welt, l'édition allemande de l'organe de la Troisième Internationale, un article intitulé « Les traîtres au pilori », et qualifie Nizan «d'agent de la police». Durant l'Occupation, le 21 mars 1940, la brochure du PCF clandestin, Comment se défendre parle du «policier Nizan». L'offensive s'amplifie après la guerre ; Louis Aragon participe activement à la marginalisation de Nizan avec son livre Les Communistes (1949), roman dans lequel Nizan apparaît comme un traître, sous les traits du policier Orfilat. Les mêmes accusations sont lancées dans les Lettres françaises et l’Humanité, en avril 1947.

Sartre, alerté par Henriette Nizan, lance au printemps 1947, une pétition signée par de nombreux intellectuels dont Mauriac, Camus, Lescure, Paulhan, Parain, Leiris, Simone de Beauvoir, et publiée dans les Temps modernes, Littéraire, Combat, Carrefour, Gavroche, sommant le PCF de justifier ses accusations. Le Parti communiste ne peut fournir les preuves requises. Par la suite, Aragon supprime dans l’édition remaniée des Communistes (1966) l’épisode dans lequel Nizan apparaît sous les traits du policier Orfilat. Il faut attendre cependant la préface de Sartre à la réédition d’Aden Arabie en 1960 pour sortir Nizan des oubliettes de l’histoire.

L’Humanité du 20 novembre 1979 le réhabilite, en reconnaissant que «par son action et son œuvre Nizan reste bien un des notre».

Nizan a deux enfants, Anne-Marie (1928), épouse d'Olivier Todd, et Patrick (1930).

 

Sources

Paul Nizan – Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - John Steel

Paul Nizan –Wikipédia

Publications

Aden Arabie, Paris, Rieder, 1931 (réédition, Maspero, 1960. Avant-propos de Jean-Paul Sartre. Ibid., Paris, La Découverte, 1987).

Les chiens de garde, Rieder, 1932 (réédition Paris, Maspero, 1969).

Antoine Bloyé, Grasset, 1933.

Morceaux choisis de Marx (Collaboration avec Henri Lefebvre et Norbert Guterman), Gallimard, 1934.

Le cheval de Troie, Gallimard, 1935.

Les matérialistes de l’Antiquité, Éditions sociales internationales, 1936.

La conspiration, Gallimard, 1938.

Chronique de septembre, Gallimard, 1939.

Honneurs      

Prix Interallié. 1938.

Biographie

Nizan, Ariel Ginsbourg, Editions universitaires, 1966.

Paul Nizan, écrivain, Adèle King, Didier, Paris, 1976.

Paul Nizan, communiste impossible, Annie Cohen-Solal (en collaboration avec Henriette Nizan), Grasset, Paris, 1980.

Nizan : Destin d'un révolté, Pascal Ory, Paris, Ramsay, 1980.

Paul Nizan, une figure mythique et son temps, Youssef Ishaghpour, Le Sycomore, Paris, 1980.

Paul Nizan, un écrivain conformiste ?, James Steel, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1987.

Paul Nizan écrivain, Bernard Alluin et Jacques Deguy, Presses universitaires de Lille, 1989.

Paul Nizan, la révolution éphémère, Yves Buin, Denoël, 2012.