Annie Kriegel (née Becker à Paris le 9 septembre 1926, morte à Paris le 26 août 1995) fait ses études dans l’école de la rue Sévigné, puis au lycée Victor| Hugo (au retour à Paris, après un exode qui mène sa famille jusqu’à Chartres). Le soir, elle suit des études de dactylographie et de sténotypie.
Cofondatrice de Clarté Quitte le PCF en 1956 |
Elle est issue d’une famille alsacienne, installée dans l’est parisien depuis la fin du XIXe siècle. Son grand-père, Henri Becker, est franc-maçon et socialiste. À ce titre, il fut un des représentants du département de la Seine au congrès d’unification du Parti socialiste en 1905. Son père, André, né en 1895, exerce la profession de représentant de commerce pour l’entreprise le Jouet de Paris. Il fait presque toute la Première guerre au front. En 1917, il combat à Verdun dans l’artillerie de tranchée et reçoit la médaille militaire. La famille de sa mère, Georgette, née Dreyfus, est aussi d’origine alsacienne.
En juillet 1942, alors que la législation antisémite se durcit en zone occupée, que le port de l’étoile jaune est rendu obligatoire et que les premières grandes arrestations de juifs étrangers ont lieu dans Paris, la famille Becker décide de franchir la ligne de démarcation et de chercher refuge en zone sud. Vers le 20 juillet, la famille traverse l’Allier à la nage, puis prend la direction de Grenoble. Elle s’installe dans un meublé. Kriegel est inscrite en classe terminale de philosophie au lycée de Jeunes filles (futur lycée Stendhal). Pour assurer un revenu familial régulier, elle travaille comme secrétaire dans une association de scoutisme puis, elle entre comme dactylographe à La République du Sud-Est (ce qui lui permet d’obtenir un laissez-passer). En novembre 1942, la région est occupée par les Italiens. Son professeur de philosophie, militante communiste, met Annie Kriegel en relation avec un responsable de l’organisation clandestine du PCF. Son frère, Henri Becker, rejoint la résistance gaulliste et devient agent de liaison avec les maquis du Vercors.
Le 9 septembre 1943, les Allemands investissent Grenoble et la répression s’abat sur l’ensemble de la Résistance locale.
En janvier 1944, Annie Kriegel devient « responsable technique » de la Jeunesse communiste de la Main d'œuvre immigrée (MOI) de la région grenobloise. Elle est en hypokhâgne. En août 1944, son frère, Henri est arrêté par le service de sécurité de la SS. Torturé, il est libéré in extremis, le jour de la Libération de Grenoble.
Fin août 1944, Annie Kriegel entre au Comité départemental de Libération dirigé par le communiste Pierre Flaureau, où elle exerce des fonctions administratives. Elle fait partie de la délégation de l’Isère aux États généraux du grand Sud-Est, en Avignon.
À la rentrée, elle regagne Paris où elle est admise en khâgne au lycée Fénelon. Parallèlement, elle est nommée adjointe au responsable politique du secteur lycéen de la Jeunesse communiste de la Seine.
Elle est admise à l’École normale supérieure de Sèvres. Elle s’inscrit en licence d’histoire et de géographie à la Sorbonne, et présente un mémoire consacré à « L’artisanat dans le IIIe arrondissement de Paris de 1895 à 1945 ».
En octobre 1945, elle adhère officiellement au Parti communiste.
À Sèvres, elle anime le cercle des Jeunesses communistes. Le 5 mai 1947, elle est nommée membre du Comité de section et déléguée à la conférence fédérale de juin 1947. A cette conférence, elle est élue, au Comité fédéral de la Seine, alors dirigé par Raymond Guyot. Quinze jours plus tard, elle assiste au XIe congrès du PCF, à Strasbourg.
Elle se rend avec son mari à Prague, au premier festival de la Jeunesse.
En 1948, elle réussit l’agrégation d’histoire et de géographie.
Elle est responsable de la coordination des activités des étudiants communistes, au siège de la Fédération de la Seine. À ce titre, elle fonde le 9 décembre 1947, le journal Clarté, mensuel des étudiants communistes, avec Arthur Kriegel, responsable des étudiants en médecine et Jacques Hartmann, élève à l’ENA.
En 1948, une nouvelle équipe dirigée par Michel Verret, succède à ce groupe des fondateurs.
En 1948, sur une décision de Laurent Casanova, elle participe au lancement de La Nouvelle critique, avec Jean Kanapa (rédacteur en chef), Victor Joannès, Pierre Daix, Jean-Toussaint Desanti, Jean Fréville, Victor Leduc, Henri Lefebvre.
En mars 1950, lors de la réunion de la commission politique du XIIe congrès, Maurice Thorez la charge de porter la critique, au nom des étudiants communistes, contre Marcel Prenant.
En octobre 1951, Annie Kriegel devient permanente à la Fédération de la Seine responsable «à l’éducation et à la lutte idéologique» et membre du bureau fédéral. En 1952, elle a en charge la section fédérale idéologique.
Sa prise de position en faveur de Picasso, lors de l’affaire « du portrait de Staline », contribuera à sa disgrâce. A partir de décembre 1953, elle est déchargée de ses responsabilités dans la direction du PCF.
Alors sans emploi dans le PCF, elle retourne dans l’enseignement.
Après les révélations du rapport Khrouchtchev et l’intervention soviétique à Budapest, elle quitte le PCF, en 1956 (son nom reste cependant dans l’ours de La Nouvelle Critique jusqu’en 1957).
Aux élections législatives de 1958, elle choisit de voter en faveur de l’UNR, le parti du général de Gaulle.
A partir de 1954, elle entreprend des recherches sur l’origine du Parti communiste sous l’autorité d’Ernest Labrousse, recherches qui la conduisent à la soutenance de ses deux thèses de doctorat. La première intitulée, Aux origines du communisme français 1914-1920, est soutenue en Sorbonne en 1964. La seconde, La croissance de la CGT 1918-1921, essai statistique, est publiée en 1966. Ces travaux pionniers font d’Annie Kriegel la première spécialiste universitaire française du mouvement communiste.
Dans sa thèse, elle met à jour la « greffe bolchevique » opérée en 1920 et la conception stratégique du Komintern qui conditionnent la naissance et l’évolution du PCF. De là, elle pointe la dimension internationale du mouvement qu’elle théorise ultérieurement sous le nom de « système communiste mondial ». Au CNRS, elle multiplie à partir de 1962, les publications scientifiques et participe à l’activité de la revue dirigée par Jean Maitron, le Mouvement social.
Dans le sillage de sa thèse, ses travaux l’amènent à publier en 1968, Les Communistes français. Essai d’ethnographie. Elle abandonne la dimension strictement historique et se démarque de la sociologie politique traditionnelle, en tentant d’opérer une radiographie du phénomène communiste et d’en révéler toute sa complexité. Ainsi, le PCF peut être étudié comme une « contre-société », proposant un modèle social qui postule à la fois le projet d’une société future et l’existence d’une société en soi.
Parallèlement, à l’invitation de François Furet, elle écrit dans France observateur, en septembre 1962, sous le pseudonyme de Stanislas Ligier, puis de David Ellimer (du nom du village d’où la famille Becker est originaire). Elle publie une vingtaine d’articles sur l’Europe de l’Est et le communisme. De 1967 à 1970, Annie Kriegel publie également des articles dans le bimensuel la Quinzaine littéraire, revue liée aux milieux de la gauche antistalinienne.
En 1964, elle obtient le poste de maître-assistante au Collège littéraire et universitaire de Reims, avant de diriger le département d'Histoire de la Faculté de Reims. En 1969, elle est élue à la première chaire universitaire de sociologie politique de l'université de Nanterre où elle reste jusque sa retraite en 1992.
En 1970, elle publie à la demande de Raymond Aron, ses premiers articles dans Le Figaro. Sa collaboration au quotidien devient régulière à partir de 1976. Raymond Aron quitte le journal en 1977, et Annie Kriegel lui succède pour l’éditorial hebdomadaire.
Dans les années 1970, Annie Kriegel s’intéresse à la question juive. Cela aboutit à la publication en 1977 d’une première œuvre majeure sur le sujet, Les Juifs et le monde moderne. Essai sur les logiques d’émancipation. À partir de 1979, elle publie dans la plupart des périodiques de la communauté juive de France, avant de choisir l’Arche comme support privilégié. La situation au Proche-Orient, la réflexion sur la dialectique entre identité juive et identité nationale, la politique intérieure israélienne, sont les thèmes principaux de sa réflexion.
Son séminaire sur le communisme à l’université de Nanterre trouve un débouché éditorial avec la création, en 1982, de la revue Communisme, publiée aux Presses universitaires de France puis aux éditions de l’Âge d’Homme. Revue qu’elle codirige avec Stéphane Courtois. Elle enseigne dans de nombreuses universités étrangères et ses travaux sont traduits et publiés dans plusieurs langues. À partir de 1991, elle entreprend un nouveau chantier d’activités grâce à l’ouverture des archives soviétiques. De cette quête sort un livre posthume, la biographie d’Eugen Fried rédigée avec Stéphane Courtois.
En 1990, elle combat fermement la loi Gayssot qui, selon elle, réintroduit le délit d’opinion dans le droit français.
En 2000, une « Association d'études et de recherches en sciences sociales Annie Kriegel » est fondée, à l'initiative de l'historien Karel Bartošek. Emmanuel Le Roy Ladurie en est le président.
Annie Kriegel se marie avec Guy Besse, agrégatif de philosophie, fils de cheminot et jeune résistant communiste de la région lyonnaise, en juin 1947 à Paris.
En novembre 1955, elle se remarie, à Paris, avec Arthur Kriegel, médecin rhumatologue, frère du Résistant et député communiste, Maurice Kriegel-Valrimont (Jean Kanapa est leur témoin). Ils ont cinq enfants, deux fils et trois filles.
Son frère est l'historien Jean-Jacques Becker.
Sources
Annie Kriegel – Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - Pascal Cauchy
Annie Kriegel -Wikipédia
Responsabilités au PCF
Co-fondatrice de Clarté
Membre du Bureau fédéral de la Seine : 1951 - 1956
Publications
Aux origines du communisme français 1914-1920, Mouton and C°, 1964,
Le congrès de Tours (1920). Naissance du Parti communiste français, Collection Archives, Julliard, 1964,
L’œil de Moscou à Paris, Jules Humbert Droz ancien secrétaire de l’Internationale communiste, Collection Archives, Julliard, 1964,
Les internationales ouvrières (1864-1943), Collection Que sais-je ? PUF, 1966,
Le Pain et les roses. Jamons pour une histoire des socialismes, PUF, 1968,
Les Communistes français. Essai d’ethnographie politique, Le Seuil, 1968,
Les Grands Procès dans les systèmes communistes. La pédagogie infernale, Gallimard, 1972,
Communismes au miroir français, Gallimard, 1974,
Les Juifs et le monde moderne. Essai sur les logiques d’émancipation, Le Seuil, 1977,
Un autre communisme ?, Hachette Essai, 1977,
Le communisme au jour le jour, Hachette essais, 1979,
Le Système communiste mondial, PUF, 1984,
Eugen Fried, Le grand secret du PCF, avec Stéphane Courtois, Le Seuil, 1997.