Fils d’une famille juive de Salonique, venues en France au début des années 1910, Edgar Morin (né Nahoum David Edgar, le 8 juillet 1921 à Paris) perd sa mère à l’âge de dix et est élevé par son père qui gérait un commerce de bonneterie en gros dans le quartier parisien du Sentier.
Résistant, Membre du CNRS Exclu en 1951 |
Edgar Morin, commence à militer durant la Guerre d’Espagne, attiré d’abord par les groupuscules d’extrême gauche, puis adhère en 1938 au Parti frontiste de Gaston Bergery.
En 1940, alors jeune étudiant, il se replie à Toulouse, et c’est dans cette ville qu’il se lie avec nombre d’intellectuels de gauche : Vladimir Jankélévitch, Jean Cassou, Georges Friedmann, Clara Malraux ou encore Julien Benda, dont il est durant quelques mois le secrétaire. En 1942, il obtient une licence de en histoire-géographie et une licence en droit.
Fin 1941, il réalise ses premiers actes de résistant (rédaction et distribution de tracts, pochoirs sur les murs), puis entre au Front national des étudiants. C’est d’ailleurs dans la Résistance qu’il prend le pseudonyme d’Edgar Morin, nom qu’il fera plus tard reconnaître officiellement.
En 1942, afin d’échapper aux mesures antisémites, il s’installe à Lyon et, par l’intermédiaire d’anciens camarades de classe du lycée Rollin (Claude Dreyfus, Jean-Francis Rolland, notamment), adhère aux Jeunesses communistes. En 1943, il devient commandant dans les Forces françaises combattantes (avec le grade de lieutenant). Coopté par André Ulmann, il entre dans le Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et des déportés (MRPGD) comme « sous-marin » du Parti communiste et contribue à l’organisation du réseau dans la région de Toulouse. Après la fusion du MRPGD au sein du Mouvement national des prisonniers de guerre et des déportés dirigé par François Mitterrand, il devient un des responsables du comité parisien, chargé notamment des activités de propagande, de l’impression et de la distribution de tracts et de journaux clandestins.
A la Libération, il travaille pour les journaux Ce Soir et Action. En février 1945, Il devient attaché à l'état-major de la 1re Armée française en Allemagne, puis chef du bureau «Propagande» au Gouvernement militaire français (1946). De cette expérience, il tire son premier livre, L’An zéro de l’Allemagne (publié en 1946), dans lequel il dresse un état des lieux de l'Allemagne. L’ouvrage est bien reçu dans le PCF qui lui propose de travailler pour la presse communiste, aux Lettres françaises, à Action et surtout au Patriote résistant (bulletin de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes). Dans cette revue bimensuelle contrôlée par le PCF, il devient rédacteur en chef.
Très vite, cependant, avec ce qu’il appellera « la seconde glaciation stalinienne », Edgar Morin se trouve en opposition avec la ligne du PCF et, en 1949, il perd son poste de journaliste.
Lié depuis la Résistance à Marguerite Duras, Robert Antelme et Dionys Mascolo, il partage comme eux les mêmes réticences à l’égard de la politique culturelle du PCF. Les tensions sont donc croissantes avec la direction communiste. Il cesse de militer en 1949 et est exclu en 1951.
Edgar Morin se voit proposer un poste de stagiaire de recherche au CNRS par Georges Friedmann, qu’il a connu à Toulouse. Soutenue également par Vladimir Jankélévitch, Merleau-Ponty et Pierre George, sa candidature est retenue. Il est ainsi associé au Centre d’études sociologiques et se consacre d’abord à une anthropologie du cinéma et de la culture de masse. Ses premiers travaux, même s’ils sont parfois reçus de façon controversée, notamment du côté de la sociologie critique de Pierre Bourdieu, lui assurent une certaine reconnaissance académique, et lui permettent ainsi de poursuivre une carrière de sociologue au CNRS.
Dès 1955, avec Robert Antelme, Dionys Mascolo et Louis-René des Forêts, il forme le Comité des intellectuels contre la guerre en Afrique du Nord, dont l’appel, lancé en novembre, appelle à « une paix fraternelle dans le respect des nationalités ». En 1960, Morin refuse de signer le Manifeste des 121 (Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie). Critique à l’égard du soutien des intellectuels français au FLN, il défend alors des positions pro-Messali Hadj qui le rapprochent de certains milieux trotskistes. Edgar Morin est également de ceux qui entendent associer dans un même refus la guerre française en Algérie et l’intervention soviétique en Hongrie de 1956. Avec Marguerite Duras, Dionys Mascolo, Robert Antelme, Kostas Axelos, Claude Lefort, il forme en 1957, le Comité des intellectuels révolutionnaires, dont la visée est « la lutte contre le colonialisme français et, plus généralement, contre tous les impérialismes, y compris l’impérialisme russe ».
Condamnant désormais radicalement le communisme soviétique, Edgar Morin s’investit dans une entreprise de révision du marxisme et de refondation de la gauche. Le point de départ est, pour lui, une réflexion personnelle sur son passé militant dont il tirera, en 1959, son premier ouvrage autobiographique, Autocritique.
En 1956, il lance la revue Arguments (publiée aux Éditions de Minuit). Conçu sur le modèle de la revue italienne Ragionamenti et en lien étroit avec elle, Arguments compte dans son comité de rédaction, Colette Audry, Roland Barthes et Jean Duvignaud, Kostas Axelos, François Fejtö, Dionys Mascolo, Pierre Fougeyrollas. Créé dans le contexte de crise du communisme ouverte par la déstalinisation, Arguments se présente comme « un bulletin de recherches, de discussions et de mises au point ouvert à tous ceux qui se placent dans une perspective à la fois scientifique et socialiste ». De fait, cette revue, à laquelle collaborèrent de nombreux intellectuels de gauche (François Châtelet, Daniel Guérin, Claude Lefort, Albert Memmi, Pierre Naville, Alain Touraine et bien d’autres), est un espace de confrontation sur les questions politiques et culturelles du moment, et contribue à la diffusion en France de penseurs marxistes jusque-là méconnus.
La revue cesse de paraître en 1962, avec la dispersion des membres du comité de rédaction. Edgar Morin, de son côté, est parti enseigner en 1960 à la Faculté latino-américaine des Sciences sociales de Santiago du Chili. Et, après une grave maladie qui l’a immobilisé plusieurs mois, il connaît une période de remise en question généralisée, tant de sa vie privée que de sa vie professionnelle. Il s’engage dans une nouvelle démarche intellectuelle. Il entend dorénavant se consacrer à une « sociologie du présent », une sociologie «phénoménologique», centrée sur l’événement, fondée sur une méthode d’observation participante («méthode in vivo») et sur une «démarche multidimensionnelle».
Edgar Morin développe ce programme au Centre d’études des communications de masse, laboratoire, qu’il co-dirige en 1960, d’abord avec Georges Friedmann, son fondateur, et Roland Barthes (1973-1983), puis avec Claude Lefort (1983-1990). Dans ce cadre, il organise diverses enquêtes collectives de terrain : enquête dans la commune bretonne de Plozévet sur la modernisation du monde rural (1965), enquête à Orléans sur le phénomène des rumeurs, enquête sur la révolte étudiante de mai-juin 1968.
À partir des années 1970, Edgar Morin délaisse ses recherches sociologiques pour se concentrer sur son grand projet « bio-anthropo-sociologique », l’étude de la « complexité humaine », qu’il déploie dans la série de six volumes intitulés La Méthode (Seuil, 1977-2006). Soucieux de tisser des liens entre les sciences et de promouvoir ce qu’il appelle «la transdisiplinarité», il participe, avec les biologistes Jacques Monod et François Jacob, à la création du Centre international d’études de biologie et d’anthropologie fondamentale. Désormais, ses prises de positions politiques se réfèrent à la «démarche complexe», aussi bien pour analyser les grands épisodes du XXe siècle (le «totalitarisme soviétique», le nazisme, l’Europe, le conflit israélo-palestinien) que pour réfléchir aux grands enjeux de société (l’écologie, l’éducation, par exemple).
Sources
Edgar Morin – Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - Isabelle Gouarné
Edgar Morin – Wikipedia
Publications
L’An zéro de l’Allemagne, Éditions de la Cité Universelle, 1946.
L’Allemagne, notre souci, Hier et Aujourd’hui, 1947.
Le Cinéma ou l’homme imaginaire, Éditions de minuit, 1956.
Les Stars, Seuil, 1957.
Autocritique, Seuil, 1959.
L’Esprit du temps, Grasset Fasquelle, 1962.
Commune en France. La métamorphose de Plozévet, Fayard, 1967.
Mai 68 : La Brèche (avec C. Lefort et C. Castoriadis), Fayard, 1968.
La Rumeur d’Orléans, Seuil, 1969.
Le Paradigme perdu : la nature humaine, Seuil, 1973. – L’Unité de l’homme, Seuil, 1974.
La Méthode, Seuil, 1977-2006, 6 volumes.
De la nature de l’URSS, Fayard, 1983.
Vidal et les siens, Seuil, 1989.
Mon Paris, ma mémoire, Fayard, 2013.
Chronique d’un été, Argos films, 1961 (film réalisé avec Jean Rouch).