La mère de Marcel Gitton, Philippine Deruisseau, épouse à dix-sept ans Albert Giroux, tonnelier de profession, de sept ans son aîné, et lui donne un enfant, Marcel (décédé à l’âge de 11 ans). Elle quitte son village et prend une place de nourrice dans la région parisienne. Philippine rencontre Hippolyte Gitton, ouvrier du Bâtiment qui est partisan de l’union libre ; il est aussi anticlérical, syndicaliste et socialiste. Ils ont ensemble trois enfants : Marcel, Lucie et Suzanne.
Député de PantinAssassiné en 1941 |
Marcel Gitton (né Versailles (Seine-et-Oise) le 20 avril 1903, décédé à Paris le 5 septembre 1941) ne porte pas le nom de son père, Gitton, puisque le divorce d’Albert Giroux et de Philippine n’est prononcé qu’en 1905.
Marcel se distingue nettement à l’école. Déjà, on parie sur son avenir. Il passe son Certificat d’études primaires en 1915 et découvre ce jour-là à la lecture de son extrait de naissance qu’il se nomme en fait Giroux. Il commence son apprentissage dans le bâtiment, comme son père, avec une spécialité, le chauffage.
Après l’armistice, le père et le fils discutent ensemble, participent aux réunions syndicales, aux meetings de soutien à la Révolution russe et s’affirment parmi ses plus enthousiastes propagandistes. En 1919, Marcel contribue à la fondation de la Jeunesse socialiste, syndicaliste et coopérative de Versailles, adhérente des Jeunesses socialistes, puis, durant les mois d’avril et mai 1920, soutient les grèves à répétition aux Chantiers Fougerolles, organise des concerts de solidarité avec les cheminots en lutte, participe aux piquets de débrayage chez Baillet, Legris, Deck, et dans toutes les entreprises versaillaises.
Au congrès de Tours, il vote l'adhésion à l’Internationale communiste.
Un jour, Marcel revient portant son père sur son dos. Il s’est effondré à la gare des Chantiers et tout indique que sa tuberculose s’est aggravée. Marcel travaille alors doublement afin que sa famille ne manque de rien. Hippolyte meurt le 23 mai 1921.
Marcel Gitton apparaît très tôt comme un meneur d’hommes. Depuis le congrès fédéral des Jeunesses communistes tenu en avril, Gitton est membre du Bureau de la 26e Entente, en qualité de trésorier.
À l’occasion d’une réunion des Jeunesses, il fait la connaissance d’Henriette, jeune sœur d’un camarade serrurier. Elle est apprentie couturière. Le sort de leurs familles se ressemble : un père fauché par la guerre, un frère et deux sœurs laissés sous la responsabilité d’une mère sans véritable situation. Ils se lient par le biais du militantisme quotidien :
En janvier 1923, il fait son service et avec la permission de son colonel, il épouse Henriette pendant son service militaire. En 1924, naît un enfant, Max.
Au retour, une toute autre vie l’attend. Il quitte la maison de sa mère pour s’installer chez sa belle-famille.
L’ascension de Gitton est alors fulgurante. Secrétaire des syndicats du bâtiment de Versailles, il est élu, le 3 septembre 1925, membre de la Commission exécutive de la Fédération unitaire du bâtiment. Le 29 novembre, le congrès de la 13e région CGTU (Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne) le nomme secrétaire des terrassiers de la Seine. Gitton apparaît comme un homme politique capable d’illustrer toutes les orientations par le verbe (on l’associe aux délégations chargées de négocier avec les autres tendances syndicales), par la plume (dès le mois de mars 1926, Gitton signe son premier « article leader » dans le Bâtiment unitaire).
Gitton est particulièrement chargé de suivre l’évolution des techniques de construction et leur incidence sur l’organisation du travail. Il appartient de fait au triumvirat qui dirige le bâtiment CGTU. Souvent en tournée de propagande, Gitton étend son influence, participe à son premier congrès national confédéral de la CGTU (1927). Il est réélu une semaine plus tard membre de la CE fédérale du Bâtiment et place ses hommes. Enfin, le 29 janvier 1928, Marcel Gitton devient permanent en qualité de secrétaire de la 13e région CGTU à l’issue de son congrès. L’appareil fédéral, sa presse, et bientôt les finances du Bâtiment sont entre ses mains.
Depuis 1928, l’Internationale communiste met en demeure d’appliquer à la lettre la tactique électorale « classe contre classe ». Le tournant, qui consiste à refuser le désistement systématique au profit des candidats socialistes au deuxième tour des élections, s’accompagne d’un profond remaniement des cadres : l’ancienne direction est définitivement chassée du parti. La prédominance des thèmes d’action minoritaire, l’accentuation de la répression contre les communistes, le contexte international de crise révolutionnaire avortée en Chine, tout cela ouvre la voie à la création d’une nouvelle équipe placée sous la direction du Internationale communiste : Henri Barbé (membre du praesidium de l’IC), François Billoux, Maurice Thorez, André Marty, Jacques Doriot, Pierre Celor, André Ferrat et Benoît Frachon.
Gitton est associé d’abord aux travaux du Comté Central, puis membre titulaire à partir du VIe congrès (1929), il est régulièrement invité au Bureau politique en 1929. Cette même année il est appelé à la CE confédérale de la CGTU.
En septembre 1929, il investit avec un groupe de militants du bâtiment, les locaux du journal L'Humanité, pour faire partir son rédacteur en chef et installer Florimond Bonte à la place de ce dernier.
Gitton est un fidèle interprète des consignes du Bureau Politique souvent seul maître à bord : Henri Barbé, Maurice Thorez, François Billoux, Benoît Frachon, André Marty, Jacques Doriot accumulent les journées d’emprisonnement.
Gitton s’occupe de tout, réalisant sur le terrain les instructions qui lui parviennent des membres du BP alors détenus et de Moscou par l’intermédiaire de l’IC.
Encouragé par Karol Vitkowski, émissaire de l’Internationale syndicale rouge (ISR) en France, Marcel Gitton affirme son poids et son pouvoir. Il passe une bonne partie du printemps 1931 dans la capitale soviétique à la tête d’une délégation de la CGTU.
En 1931, il est élu secrétaire confédéral de la CGTU.
Populaire dans le parti, exécutant irréprochable et rouage essentiel, il devient membre titulaire du Bureau politique au VIIe congrès du PCF (1932).
Gitton est promu au Secrétariat à la fin de l’été 1932, aux côtés de Albert Vassart et de Maurice Thorez et prend la direction du travail syndical du PC.
Les deux années suivantes sont des années de confirmation. Désormais « politique » à part entière bien qu’il garde un pied dans la CGTU (il est réélu secrétaire au VIIe congrès national tenu à Paris du 23 au 29 septembre 1933), Gitton est impliqué au premier chef dans l’élaboration d’une ligne qui variera du front unique ouvrier sur une base sectaire à l’ouverture aux classes moyennes et au compromis social. Il est le numéro 3 du PC. Petit à petit, et tandis que s’amorce à l’été 1933, le tournant de l’IC vers la lutte antifasciste prioritaire, Gitton confirme son rôle de grand patron de l’organisation.
Enfin, il assoit son pouvoir de manière décisive en héritant, au début de l’année 1935, de la commission des cadres.
Le 11 juin 1934, il rencontre aux côtés de Maurice Thorez et de Benoît Frachon, les dirigeants socialistes Léon Blum et Zyromski. Puis, après le grand meeting unitaire de la Salle Bullier (2 juillet), il signe le 27 juin, le pacte d’unité d’action socialiste-communiste. Un objectif principal, dès lors : la réunification syndicale. Une tâche politique : représenter partout le Parti communiste dans les négociations unitaires. Gitton mène les deux de front. Il fixe les orientations à suivre dans la future CGT, défend le 5 août 1935 devant le Comité central la ligne politique en matière de réunification syndicale, intervient sur le terrain en tant que secrétaire de la CGTU (il est réélu en juillet 1935). Parallèlement, c’est encore Gitton qui, avec Jacques Duclos, représente le PC aux réunions de préparation du 14 juillet 1935, aux assemblées du Rassemblement universel pour la paix.
Gitton est un négociateur difficile avec les socialistes. L’attitude du PC lors des réunions qui président à la création du Front populaire, le constat est le suivant : « S’il était représenté par Jacques Duclos ou Gabriel Péri, nous savions que les choses allaient immédiatement s’arranger. Si nous voyions arriver Florimond Bonte ou surtout Gitton, nous savions que les choses allaient être difficiles et que peut-être il y aurait coup de poing sur la table. »
En 1935, Gitton est élu conseiller général du 3e canton de Pantin et député de la 1re circonscription de Saint-Denis (Pantin).
Il est au sommet de son ascension.
En 1936, Gitton apparaît dans le film de Jean Renoir, jouant son propre rôle.
Pendant le Front populaire, il est élu vice-président de la commission de l’Armée. C’est un parlementaire actif et dénonce l'effort militaire de l'Allemagne ainsi que la progression anormale des exportations de minerai de fer français vers ce pays. Il entre en conflit avec Daladier sur la réduction de la durée du service militaire et sur la politique de défense nationale. Et par la suite, Daladier (sans doute rancunier) lâche à un membre du Bureau politique, ce message sibyllin : « Mais ce Gitton, vous avez confiance en lui ? » Et c’est le début d’une rumeur.
Gitton, parce qu’il est le secrétaire à l’organisation, tient la haute main sur l’ensemble des relations qui se nouent, directement ou indirectement, avec les secteurs répressifs de l’appareil d’État. Toute grande organisation politique entretient des relations discrètes avec la police. En échange d’une certaine quiétude, elle fournit aux services de renseignements des informations sur son fonctionnement interne, donne l’état de ses effectifs nationaux et les tient au courant du développement de quelques structures tel le service d’ordre. Ces liens se sont resserrés avec l’avènement du Front populaire d’autant que le PCF joue ouvertement la carte du légalisme et que la sécurité de l’Etat semble menacée par les complots d’extrême-droite.
Cette relation avec les services de sécurité de l’Etat ont sans doute aidé à la diffusion d’une rumeur dans les milieux de gauche : Gitton serait de la police.
Face aux questions de ses adversaires, la direction du parti se porte garante de Gitton. Couvert par la direction du Parti communiste, Gitton poursuivit donc ses contacts avec la police.
Il se déplace en Espagne où il se consacre aux questions de ravitaillement ou au problème des réfugiés.
La Seconde Guerre mondiale éclate. Mobilisé le 4 septembre au 223e Régiment d’infanterie, Gitton part, salué par le communiqué parlementaire communiste du même jour. Il confie son épouse Henriette, employée au dispensaire de Montreuil, à Jacques et Gilberte Duclos qui habitent tout près afin qu’elle passe chez eux les premiers jours consécutifs à son départ, puis s’en va.
Il est en outre le principal membre du Bureau politique en poste à Paris durant ce mois de vacances. Les 11 et 18 août, il représente le PCF aux réunions du Comité national du Rassemblement populaire. Optimiste à l’annonce du pacte de non-agression, Gitton défend avec force la position de Moscou dans les colonnes de l’Humanité. Si l’on ajoute enfin que la dernière publication légale du Parti communiste, Regards cite Gitton au premier rang des députés mobilisés 26 septembre 1939. Maurice Thorez rédige à Moscou, courant novembre 1939, un rapport sur l’état du parti destiné à la direction de l’IC dans lequel il ne fait nulle part mention de problèmes concernant Gitton. Le secrétaire à l’organisation est au contraire cité au premier rang des « éléments les plus actifs » que la mobilisation soustrait à leurs tâches dans le parti...
Au plan politique, il convient d’adopter l’orientation de la lutte contre la «guerre impérialiste» C’est l’explication de la mise « sur la touche » de Gitton, jugé trop compromis dans la période précédente de grand légalisme et d’entente officieuse avec les autorités.
Gitton rentre à Paris, en permission à la fin du mois de novembre. Il obtient le contact avec la direction parisienne clandestine.
La presse parle du reniement de Gitton et annonce que Gitton a déclaré au commissaire des Lilas que, depuis qu’il est mobilisé, il a « beaucoup réfléchi » et qu’il ne se « considère plus comme faisant partie du groupe des députés communistes à la Chambre. Je suis sans parti. Je suis prêt à l’affirmer (L’œuvre du 30 novembre 1939).
Un simple incident va tout déclencher. Reconnu dans son quartier tandis qu’il déambule en civil, Gitton est entraîné au commissariat et l’on parle déjà de signaler à l’autorité militaire son infraction au port de la tenue réglementaire. Diffusée hâtivement par la presse, et peut-être sur consigne gouvernementale, la nouvelle prend des proportions inattendues alors que le calcul visait à sortir le dirigeant communiste d’un mauvais pas.
Faut-il croire qu’il s’agit d’un malentendu dont Gitton ne peut maîtriser les conséquences ? Quant à Maurice Thorez, il précise ainsi les circonstances dans lesquelles Gitton a rompu : « ... il fut trahi par mégarde par un commissaire de police trop zélé et maladroit au moment où il s’efforçait de pénétrer dans l’appareil de l’organisation clandestine du parti » (The Communist international, n° 3, 1940).
Quelles que soient ses variantes, tout permet d’affirmer en l’état des sources que la rumeur n’était pas fondée. Par contre, Gitton après le pacte germano-soviétique et après la déchéance de son mandat de député (21 janvier 1940), entre en dissidence vis-à-vis de la ligne du PC.
Gitton se tourne alors vers les députés communistes dissidents pour construire un nouveau parti. Il écrit à Sulpice Dewez, après que celui-ci s’est désolidarisé des ultimes manifestations communistes à la Chambre. Évoquant la reconstruction d’un nouveau parti ouvrier, il lui dit notamment : « Sur cette voie, mon cher Sulpice, nous nous sommes engagés tous les deux, avec d’autres qui, je l’espère, se feront de plus en plus nombreux. Et si l’on m’en laisse la possibilité, je consacrerai à cette tâche, avec tous ceux qui voudront bien s’y associer, tous les efforts dont je suis capable ».
Affecté en juin à la 1re compagnie du 402e Régiment de Pionniers, Gitton est volontaire pour se battre en première ligne. Démobilisé, il semble s’être rendu à Vichy où se sont réfugiées l’ensemble des familles politiques légales. C’est là qu’il aurait rencontré Jacques Doriot dont il est séparé par une haine tenace depuis 1934. Gitton se laisse alors convaincre par le « chef » du PPF de participer à un comité de Rassemblement national qui sera créé courant septembre à Paris (Gitton collabore aussi au journal de Doriot, Le Cri du peuple, dès son premier numéro, en octobre 2040). Il rejoint la capitale le 19 août et cherche à réunir les éléments du PC entrés en dissidence afin de les tourner vers la « Révolution nationale » et de former un parti. Avec Capron, Parsal, Clamamus et d’autres parlementaires et syndicalistes démissionnaires, il s’installe dans un local situé dans le même immeuble que celui du PPF.
Gitton crée en février 1941, le Parti ouvrier et paysans français (POPF), avec des anciens parlementaires et élus communistes. Pour l’essentiel, la libération et le ralliement des cadres autrefois membres du Parti communiste français et maintenant emprisonnés occupent la majeure partie des forces de Gitton. Faire pression sur les autorités afin d’obtenir des élargissements, aider matériellement ces cadres durant leur, devient un jeu compromettant.. Ses articles prennent bientôt la tonalité antisémite de rigueur et son reniement s’étend progressivement aux lignes de force de son passé militant.
Gitton rompt pourtant avec Jacques Doriot fin mai ou début juin 1941, sans doute à l’issue du Ier congrès du PPF en zone non-occupée (Paris, 23-25 mai) auquel il a participé. Une série de manipulations lui ont fait comprendre son rôle de simple faire-valoir. Le Parti ouvrier et paysan français (POPF) est alors fondé. Organisation indépendante, logée dans son propre local du 45, rue du Faubourg-Montmartre, c’est une formation autorisée, sans journal et dont le financement provient essentiellement des indemnités parlementaires de ses membres.
L’Humanité le dénonce dans son numéro clandestin du 13 juin 1941 : «C’est donc clair, Gitton le flic ne fait libérer des emprisonnés ou des internés que s’ils sont décidés à servir la police et partant la Gestapo. C’est ce que font Soupé, Piginnier et Rigault. Voilà pourquoi tous ceux qui, pour quelque raison que ce soit, ont mendié leur liberté à la police par l’intermédiaire de Gitton, doivent être dénoncés comme auxiliaires de la police, renégats et traîtres à la cause du peuple, à la cause du pays."
L’invasion soudaine de l’URSS place les membres du POPF dans une tout autre posture au début de l’été 1941. Lorsque, courant août, surviennent les premières actions armées contre les troupes d’occupation, Gitton met en chantier une « Lettre ouverte aux ouvriers communistes » stigmatisant l’orientation nouvelle de la direction Duclos-Frachon. L’objectif est maintenant clair : rallier les éléments du parti communiste qui sont hostiles à la lutte armée. On ne lésine pas sur les moyens et l’opération bénéficie de la complicité avérée des autorités allemandes. Abusivement, on ajoute à la signature des membres du POPF celle de tous les parlementaires démissionnaires du PC. Parallèlement, une affiche avec Marcel Cachin appelant à cesser les attentats contre les allemands est collée dans Paris. C’en est trop pour le PC qui pressent le danger et décide de faire abattre son ancien n° 3.
Le 4 septembre 1941 à 19 h 45, Marcel Gitton est assassiné aux Lilas par Marcel Cretagne, membre du Groupe Valmy. Gitton est transporté à l’hôpital Tenon, où il meurt le lendemain.
Il y a foule au Père-Lachaise, ce 11 septembre. Des milliers de personnes, semble-t-il, et un service d’ordre qui boucle le quartier. Le tout-Paris de la Collaboration est pressé de faire de Gitton son martyr et de capter le prestige éphémère de son activité.
L’homme est condamné aux oubliettes. Dans les années cinquante, on retouchera le fameux cliché de 1937 où le Bureau politique pose devant le Palais de Tokio, … sans Marcel Gitton.
Exhumé le 30 avril 1942, il repose actuellement dans le caveau familial Giroux-Gallou.
Sources
Marcel Gitton – Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - Guillaume Bourgeois
Marcel Gitton - Wikipédia
Mandats électifs
Député : 3 mai 1936 au 21 janvier 1940 (déchu de son mandat par la Chambre des députés)
Conseiller général : 1935 - 1936
Responsabilités au PCF
Membre du Comité Central : 1929 - 1939
Membre du Bureau Politique : 1932 - 1939
Membre du secrétariat du PCF : 1932 - 1939