Fille d’un avocat au barreau de Moscou, Dominique Desanti (née Persky, à Moscou le 31 août 1919, morte à Paris le 8 avril 2011) a dix ans quand elle arrive à Paris, avec sa famille.
Départ en 1956 |
Installé en France, son père, Serge Persky, est conseil juridique et membre du Grand Orient de France, ami d’Édouard Herriot, qui mène une vie mondaine dans le Paris littéraire de l’entre-deux-guerres. Il fut le traducteur de Maxime Gorki, Alexis Tolstoï, Léonide Andréief et l’auteur d’ouvrages sur la littérature russe (couronnés à deux reprises (1912, 1918) par le Prix Montyon). Il fréquente les acteurs de la Révolution de Février exilés en France, Kerensky, Maklakov et Milioukov, et partage leur ressentiment à l’égard des bolcheviks.
Dans son livre autobiographique, Ce que le siècle m’a dit, Dominique Desanti maquille l'histoire de ses origines et celle de ses parents. En effet, on y lit qu’elle serait née à Paris et aurait été élevée par son père seul, lequel aurait été fusillé à Compiègne en 1944. Elle occulte ainsi son parcours de russe émigrée et l’indicible horreur de la mort de ses parents (décédés au camp d’Auschwitz-Birkenau).
Dominique Desanti obtient son baccalauréat en 1936. Elle étudie pendant deux mois en hypokhâgne avant d’abandonner et de rejoindre la Faculté de lettres et la Faculté de droit.
En parallèle de ses études, elle travaille pour l’agence de photographies «France-Presse-Voir» où elle fait ses premiers pas de journaliste et où elle fait la connaissance de Pierre Lazareff, son directeur.
Les manifestations contre la guerre d’Espagne et les échanges amicaux avec les grévistes de mai 1936, la conduisent à prendre sa carte à l’Union fédérale des étudiants, proche du Parti communiste.
Au printemps 1937, elle rencontre Jean-Toussaint Desanti, normalien d’origine corse qui étudie la philosophie. Ils se marient dès 1938 (ce mariage lui confère la nationalité française). Le couple raconte dans ses mémoires que pour briser le modèle bourgeois, ils passent un contrat original : ils s’engagent seulement pour six mois renouvelables, en laissant la liberté à l’autre de mener une vie sentimentale parallèle. Ils mettent ce contrat à l’épreuve pendant plus de soixante ans, jusqu’à la mort du philosophe en janvier 2002.
Pendant la «drôle de guerre», Dominique Desanti sympathise avec un groupe de normaliens scientifiques qui se baptisent le «Zoo». Lors de la débâcle, c’est à Montpellier, où elle a rejoint Jean-Toussaint, démobilisé, qu’elle entend l’appel du général de Gaulle. À la rentrée 1940, le couple Desanti choisit de revenir à Paris où ils retrouvent le «Zoo». Leur activité de résistants commence par la rédaction, la reproduction et la distribution clandestine d’un tract intitulé Sous la botte, dans les rames du métro parisien. Malgré les risques encourus, Dominique Desanti accepte de travailler, de novembre 1940 à l’été 1941, pour le Comité d’aide aux prisonniers de la presse, financé par les nazis à des fins de propagande. Au printemps 1941, Jean-Paul Sartre, qui rentre d’Allemagne où il était prisonnier et qui veut participer à la Résistance contre l’occupant nazi, est mis en relation avec le «Zoo» par Maurice Merleau-Ponty. C’est dans ces circonstances que le couple Desanti sympathise avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.
Fuyant le nazisme, les parents d'Anne Desanti se sont réfugiés dans le Sud de la France, à Nice ; ils se sont installés au grand Hôtel Westminster et correspondent avec leur fille dans un langage codé.
À la rentrée 1942, par précaution, le couple Desanti s’installe à Clermont-Ferrand où Dominique est nommée professeur. Elle entre au Front national mais accomplit également des missions pour Ceux de la Résistance et pour le Mouvement national contre le racisme (MNCR).
En 1943, après la bataille de Stalingrad, elle adhère au Parti communiste clandestin.
À la libération de la région de Clermont-Ferrand, les réseaux de résistants confient à Dominique et Jean-Toussaint Desanti la direction de deux journaux locaux issus de la clandestinité : La Nation et Le Patriote (elle signe ses articles «Dom.Inique» qui deviendra son prénom, Dominique). Fin août - début septembre 1944, lors de la fondation de la Fédération de la presse, Dominique Desanti est élue au Bureau des quotidiens régionaux.
Le 6 juin 1944, ses parents, Jacques et Irène Persky, qui vivent alors à l’Hôtel Moderne à Espalion (Aveyron), sont dénoncés comme «juifs» et arrêtés par la Gendarmerie française. Ils sont transférés en car à Toulouse, puis déportés à Drancy. Les époux Persky sont assassinés le 5 juillet 1944 au camp d’Auschwitz-Birkenau. Dominique Desanti recevra l'avis officiel de leur décès en 1948, à son domicile parisien.
Dans l’Europe au sortir de la guerre, Dominique Desanti effectue plusieurs reportages pour Action (journal lié au PCF et dirigé par Maurice Kriegel-Valrimont) mais aussi pour Résistance la voix de Paris, un journal franc-maçon.
À Paris, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, elle fréquente la «bande de la rue Saint-Benoît» : Marguerite Duras, Robert Antelme, Dionys Mascolo, Edgar Morin, Jorge Semprun, Claude Roy et d’autres intellectuels, alors membres du PCF.
En 1947, l’année de l’entrée dans la Guerre froide, Dominique Desanti suit la ligne du Parti et se radicalise. Elle rompt progressivement ses relations avec les non-communistes et s’investit activement dans le Conseil mondial de la paix. Elle écrit exclusivement pour la presse communiste : Action - désormais contrôlé par le PCF -, L’Humanité, Démocratie nouvelle et La Nouvelle critique (fondée en 1948).
En 1949, elle rédige sur commande un ouvrage de propagande anti-titiste : Masques et visages de Tito et des siens. Elle écrit aussi des romans qui glorifient les valeurs communistes : La Grisette à l’hortensia, Le Matou dans la neige et À bras le corps, publiés sous forme de feuilletons dans la presse communiste.
Dans Les Staliniens (1974), puis dans ses mémoires, Dominique Desanti explique la foi qu’elle a eu dans le communisme : la conviction d’une révolution prochaine, la compassion pour les ouvriers qu’elle côtoyait, la convivialité de la « contre-société communiste ». Mais elle raconte également les événements qui ont semé le doute dans sa croyance. En décembre 1949, lors du procès du bulgare Kostov qu’elle couvre pour la presse communiste, elle ne peut s’empêcher de croire Kostov, condamné à mort, lorsqu’il déclare à la presse étrangère que ses aveux ont été extorqués. En 1953, l’affaire des blouses blanches et l’exclusion de Marty et Tillon aggravent son trouble. En 1956, des amis d’Europe de l’Est lui transmettent une version du rapport Khrouchtchev et c’est là, qu’elle décide à quitter le PCF. Avec cette rupture, elle perd ses amis, son travail et une complicité avec son mari qui, bien que de plus en plus distant, reste au parti jusqu’en 1960.
Elle reprend des études d’histoire et travaille dans la presse. Elle signe sous le pseudonyme de Camille Destouches. Elle écrit des articles pour la presse scientifique, des biographies romancées de deux femmes du XIXe siècle (Marie Curie et Antoinette Lix). À partir de 1958, elle tient la rubrique «La lettre du cœur» de L’Écho de la mode et elle travaille pour le magazine Constellation.
Puis dans les années 1960, dans le cadre de la décolonisation, elle part à la découverte de l’Afrique. À partir de 1963, elle collabore à la revue Jeune Afrique et à African Arts.
Partisane d’une Algérie indépendante, elle participe avec Jean-Toussaint Desanti au réseau Jeanson. Elle refuse en revanche de signer le «Manifeste des 121», jugeant qu’il est inconscient d’encourager des jeunes gens à prendre le risque de déserter.
En mars 1968, l’Université de Californie l’invite à donner un cours sur le roman français de l’entre-deux-guerres.
En mai 1968, elle est en Californie, loin des barricades de Paris. De retour en France, elle se fait embaucher dans une usine Citroën pour vivre l’expérience du travail à la chaîne d’un OS.
Au début de la décennie 1970, le couple Desanti sympathise avec de jeunes maoïstes : Judith Lacan, élève de Jean-Toussaint, et les frères Jacques-Alain et Gérard Miller, puis Philippe Sollers et Julia Kristeva.
Les années 1970 sont aussi celles du militantisme féministe : en 1971, Dominique Desanti signe le manifeste des « 343 Salopes » et, en octobre 1972, elle est active lors du procès de Bobigny à l’encontre d’une mère et de sa fille mineure accusée d’avoir avorté. Mais elle prend rapidement ses distances à l’égard des militantes du Mouvement de libération de la femme et rompt même son amitié avec Simone de Beauvoir. Dominique Desanti ne se reconnaît plus dans ce qu’elle qualifie dans ses mémoires, de «guerre des sexes».
Ayant soutenu un doctorat, elle suspend son activité de journaliste en 1978 pour partir régulièrement enseigner aux Etats-Unis, l’histoire des mouvements féministes du XIXe et du XXe siècle. Elle enseigne aussi à l’Université de Paris VII où elle anime un séminaire d’ethnologie du quotidien, de 1978 à 1990.
A la fin des année 1970, Desanti se spécialise dans la critique littéraire et elle tient une chronique intitulée «Une femme à sa fenêtre» pour Le Monde. Puis, elle se consacre à l’écriture de son œuvre, composée de romans, d’essais historiques et de biographies. En 1998, elle est faite commandeur des Arts et Lettres.
Elle reçoit le Prix de l’Académeie française en 1971 pour Les Socialistes de l’Utopie.
En 1991, la secrétaire d’État chargée du Droit des femmes, Michèle André, fait Dominique Desanti chevalier de la Légion d’honneur pour son action de résistante et de féministe. En 2002, le ministère de la Culture la fait accéder au grade d’officier de la Légion d’honneur.
Sources
Dominique Desanti – Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier - Anna Trespeuch
Dominique Desanti – Wikipédia
Honneurs
Prix de l’Académeie française, 1971 (pour Les Socialistes de l’Utopie).
Chevalier de la Légion d’honneur, 1991
Commandeur des Arts et Lettres, 1998.
Officier de la Légion d’honneur, 2001.
Publications
Les Clés d'Elsa Aragon-Triolet, Ramsay, 1983.
Sonia Delaunay : magique magicienne, Ramsay, 1988 (ISBN 978-2859566678).
Vladimir Nabokov, Julliard, 1994 (ISBN 978-2260012320).
Elsa-Aragon : le couple ambigu, Belfond, 1994 (ISBN 978-2714432285).
Robert Desnos, le roman d'une vie, Mercure de France, 1999 (ISBN 978-2715221222).
Nous avons choisi la Paix, Éditions Seghers, 1949.
Masques et visages de Tito et des siens, Ed. du Pavillon, 1949
L'Internationale communiste 1919-1943, Payot, 1970.
Les Socialistes de l’Utopie, Payot, 1971 (Prix de l’Académie française).
Les Staliniens, une expérience politique 1944-1956, Fayard, 1975.
1947, l'année où le monde a tremblé, Albin Michel, 1977.
La Femme au temps des années folles, Stock/Laurence Pernoud, 1984
A bras le corps, Éditeurs français réunis (EFR), 1953.
Un métier de chien, Flammarion, 1971.
Personne ne se ressemble, Flammarion, 1977.
Le Chemin du père, Grasset, 1981.
Rue Campagne-Première, J.-C. Lattès, 1987.
Les Années passion, éditions de la Renaissance, 1992.
Les sorcières sont des miroirs, Maren Sell, 2005.
Ce que le siècle m’a dit….. , 1997